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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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III. Réponses
Intolérable, n°1, Mai-Juin 1971, p. 26-47.
Article mis en ligne le 1er avril 2014
dernière modification le 10 janvier 2024

par ArchivesAutonomies

1. les visites

Avez-vous des visites ?

FRESNES : Les visites dépendent d’un tas de paperasses que les gens qui veulent nous visiter doivent remplir : demander des autorisations au juge d’instruction, des photos, des papiers, et à la fin, on n’est pas sûr d’avoir l’autorisation.
DOUAI : Mon père chaque mois, ma mère chaque semaine. Par contre, ma compagne, dite "concubine" a dû attendre 3 mois pour obtenir son permis de visite. Comme elle venait de Paris, ville éloignée de plus de 100 km de la prison, j’avais droit à un double parloir par mois. En fait, il me fut accordé la première fois ; par la suite, toujours refusé ; motif : vos parents vous visitent régulièrement ; cette personne n’est pas un proche. Aucun ami n’a obtenu de permis ; les seules personnes admises étaient mes parents, que je voyais fort peu, et ma "concubine". Ça leur prenait chaque fois une journée complète. Ma "concubine" travaillait les jours ouvrables. Or les jours de visite des condamnés, à Douai, étaient lundi et jeudi. Ils ne voulaient pas l’autoriser à me visiter le samedi.
SAINT-MALO : Je ne sais pas, je n’ai reçu aucune visite.
TOUL : Je ne peux pas répondre exactement à vos questions, car je n’ai jamais eu de parloir à Toul.
CAEN (Centrale) : Une fois par mois. Les personnes que je désirais le plus voir n’ont pas obtenu de permis.
GRADIGNAN : Des détenus m’ont raconté que leur famille n’avait pas pu les voir parce que quelqu’un était venu avant ; or leur famille avait traversé la France. En prison, une visite est attendue et préparée. Si le visiteur ne vient pas, on est désemparé. Il faut des visites régulières, sinon elles ne s’intègrent pas à la vie en prison ; elles n’en changent pas le cours.

Combien de temps fait-on la queue pour vous rendre visite ?

PROVINCE [1] : La durée d’un parloir est d’une demi-heure. Mais les familles sont là bien avant l’heure. Elles attendent leur tour, 1 h, 2 h sans abri, même par les plus grands froids. Il faut qu’une personne se trouve mal pour qu’on la fasse entrer, ou qu’un enfant pleure de froid, tout violet, comme ça s’est passé l’autre jour, pour qu’on lui permette d’entrer, la mère restant dehors.

Pouvez-vous décrire les conditions de la visite (ce qui vous paraît le plus insupportable) ?

LA SANTÉ : Ce sont premièrement toutes les grilles qui séparent le visiteur et le visité, puis ensuite les difficultés qu’il y a à dialoguer par faute du bruit.
LA SANTÉ : La saleté repoussante des parloirs, sombres, incommodes et bruyants. Ce qui est le plus intolérable, c’est de ne pas sentir d’intimité au parloir, à cause de l’éloignement, du double grillage, de la vitre sale et du bruit.
LA SANTÉ : Le bruit.
LA SANTÉ : Dans une petite cage et le maton qui fait le va et le vient.
TOULOUSE : Outre les conditions de réception des visiteurs, les conditions de l’entrevue sont intolérables ; on peut à peine voir son vis-à-vis. Il est très difficile de s’entendre et de se faire comprendre. Les boxes n’étant pas fermés, chacun essaye de couvrir la voix des 12 qui passent au parloir avec lui pour se faire entendre.
FRESNES : Le parloir, c’est le plus affreux ; derrière des grilles, on gueule pour se faire comprendre.
LA SANTÉ : Les parloirs sont très sombres. On voit à peine son interlocuteur. Nous sommes obligés de hurler pour nous faire entendre.
LA ROQUETTE : Les parloirs sont très bruyants : en attendant les visiteurs, on n’a pas le droit de parler. Deux vitres opaques séparent les deux personnes : il faut hurler. Les matonnes circulent et écoutent.
PROVINCE : Les boxes ont 90 cm de large avec un verre perméable à la voix ; de chaque côté, un tabouret rond. Un surveillant se promène de long en large ou se tient dans l’embrasure de la porte, du côté des détenus. D’après les questions que j’ai posées aux détenus est intolérable la présence du surveillant, le bruit des voix et la promiscuité des boxes qui ne sont séparés que par une cloison en bois empêche toute conversation intime. On en reste aux banalités, aux nouvelles familiales.
ÉPINAL : Pendant les parloirs auxquels on a droit 3 fois par semaine pendant des périodes de 15 jours, on est borné à parler du temps, puisque si on parle d’une autre chose, on nous menace avec des interdictions (là, je suis inexact, on ne m’a rien dit, lorsque j’ai parlé de l’arrivée d’Apollo XIV à la Lune).
METZ : Le parloir a lieu dans des conditions déplorables, à 9 par parloir ; dans un espace aussi restreint, il faut savoir jouer des coudes et crier plus fort que tout le monde pour se faire entendre.
DOUAI : Parloirs-poulaillers. Basse-cour dégueulasse où les parents et visiteurs sont entassés. Les détenus doivent réconforter les visiteurs. Épreuve terrible pour le visiteur. 10 par parloirs, soit 20 personnes qui hurlent. Arrogance des matons à l’égard des visiteurs. Mépris total des familiers et des parents. 20, 25 minutes au mieux : interdiction du dialogue, impossibilité d’échanger des idées. On a une soif de parler et d’entendre. Nous sommes réduits à la banalité. Impossibilité de lire quoi que ce soit.
CAEN : Il y a quelques années, c’était autour de petites tables que les détenus pouvaient voir leur famille. Malheureusement, les petites tables furent remplacées par une longue table avec une glace centrale d’une trentaine de cm de haut, selon le système dit américain. Néanmoins personne ne s’est trop plaint car on n’était pas totalement séparé de ses proches. Or le système américain a lui même été remplacé par le système de l’hygiaphone. Le visiteur et le détenu sont chacun enfermés dans une cabine et ainsi séparés par deux parois vitrées. Le parloir perd toute chaleur.
FLEURY : On est surveillé à tout instant, à tout moment par des gardiens de chaque côté. FLEURY : Les carreaux où je ne peux embrasser ceux qui viennent me voir.
TOULOUSE : Parler au détenu derrière des vitres à trou, pas pouvoir le toucher.

2. le courrier, la censure

Pouvez-vous écrire autant que vous voulez ?

LA SANTÉ : Après condamnation, on peut écrire une fois par semaine à sa famille. La lettre ne doit pas dépasser 30 à 40 lignes. On ne peut plus écrire à son avocat.
FLEURY : Toutes mes lettres arrivent chez les gens qui n’ont pas été incarcérés dans les lieux où je suis. Mon beau-frère ne reçoit pas mes lettres, car il était détenu avec moi. La censure raye nos lettres si on y parle de nos amis qui sont avec moi détenus. Je reçois tout courrier envoyé, sauf des anciens détenus.
SAINT-MALO : On peut écrire autant qu’on veut à condition d’avoir l’argent pour payer les timbres. En cas de lettres suspectes, le prisonnier est appelé par le Directeur.
GRADIGNAN : Avec de l’argent on peut toujours faire sortir une lettre.

Avez-vous été victime de la censure ? A quel sujet ?

TOUL : Une lettre de mon frère qui n’avait aucun motif qui puisse nécessiter une censure. Une lettre de ma mère qui ne m’a été remise qu’à ma libération.
NIMES : Censuré, parce que je disais qu’on mangeait mal, qu’on nous battait, qu’on nous mettait au cachot pour un rien.
FLEURY : Suppression des poèmes, dessins. DOUAI : Une lettre sur trois a disparu. Ma fille de 8 ans m’envoyait des dessins pour la fête des pères ; ils m’ont remis la lettre, quant aux dessins, à la poubelle. Les Arabes et les Yougoslaves ne pouvaient pas écrire.
LA SANTÉ : Les matons qui lisent les lettres ne comprennent pas le français.
DOUAI : 1. Chaque fois que j’utilise des mots peu courants, que je tiens des propos que visiblement ils ne comprennent pas, mes lettres reviennent ; 2. toute poésie est strictement censurée ; 3. informations politiques, même du Tiers Monde (2 lettres de ma mère au Maroc en août dernier), toutes les lettres de ma femme qui font allusion à des événements actuels ; 4. croquis et dessins interdits.
GRADIGNAN : Les gens n’écrivent pas beaucoup en prison, à cause de l’orthographe ; ils ont honte de leur orthographe devant la censure. Le courrier pourtant occupe une grande place ; les visites sont à jour fixe, elles sont limitées ; mais le courrier, on le reçoit et on l’écrit dans la cellule.
TOULOUSE : Je n’ai pas reçu la lettre d’un camarade qui parlait de la situation politique à l’extérieur de la prison. Je ne savais même pas qu’elle était parvenue à la prison : on ne me l’a donnée qu’à la sortie et encore il a fallu que je revienne la chercher. Deux lettres que j’avais écrites à ma famille et à des camarades ont été censurées pour motif politique.
SAINT-NAZAIRE : Plusieurs de mes lettres ont été refoulées par la censure. Motif : propos subversifs.

Avez-vous le droit de recevoir des colis ?

LA SANTÉ : Tous les colis sont ouverts : exemple, un poulet est déchiqueté pour voir ce qu’il y a dedans, la confiture est vidée, tout est rendu mélangé, immangeable. N’est pas toléré serviettes, savonnettes, lacets qui sont rendus à la sortie.
RENNES : A la Maison Centrale des femmes, une organisation protestante avait donné pour Noël un paquet contenant une savonnette et une serviette de toilette. On les a déposées au greffe, les détenues les trouveront à la sortie (pour certaines dans 10 ou 15 ans).
DOUAI : N’ayant personne et pas les moyens, je ne correspondais avec personne et je ne recevais rien. Je ne peux pas répondre à vos questions.

3. les droits, le règlement

Vous a-t-on dit quels étaient vos droits ?

TOUL : On m’a dit qu’on n’en avait aucun. Qui vous l a dit ? Les surveillants. Tout détenu qui fait des observations sur le règlement au directeur est sanctionné.
AVIGNON : Personne ne m’a parlé de mes droits.
TOULOUSE : On n’a pas connaissance du règlement. Il est affiché en partie sur un panneau d’affichage dans chaque quartier. On ne nous a absolument pas parlé du droit des détenus.
SAINT-MALO : Par de vieux habitués.
DOUAI : Uniquement par les punitions administrées au jour le jour par le zèle des matons.
SAINT-NAZAIRE : Par les autres détenus uniquement.
LA ROQUETTE : Il faut demander le règlement pour le voir.
LA ROQUETTE : Il m’a été très difficile de l’avoir ; or, pendant les premiers jours surtout si l’on est isolé, on ne sait strictement pas à quoi on a droit ; et les surveillantes répondent "je ne sais pas" à toutes les questions. Par exemple, j’ai mis une semaine avant de savoir que je pouvais écrire à qui je voulais et disposer d’autant de timbres que je voulais. Bien sûr, ce règlement est assez vague pour pouvoir être interprété à la tête du client.

Avez-vous des observations à faire sur le règlement ?

LA SANTÉ : Un concentré de merde.
RENNES (H) : Tout est interdit, pas le droit de parler dans les couloirs, pas de groupes dans les cours.
PROVINCE : Leurs droits sont inexistants. Tout pouvoir, toute protestation, toute parole leur sont durement refusées, d’autant plus durement que le surveillant est non gradé. Depuis un an environ, il est assez fréquent que les détenus adressent des réclamations au directeur de la prison ou même à leur juge pour obtenir ce dont ils ont besoin ou pour protester contre un manque ou une erreur.
DOUAI : Infect. Les liens sociaux sont rompus et interdits. Il nous abêtit, donne le droit de nous traiter comme des chiens, la longueur des peines accroît notre rage. Nous sortons déshumanisés de nos cages où nous tournons en rond 23 h sur 24 h, la rage au pantalon.
LA ROQUETTE : Qu’appelez-vous les droits des prisonniers ?

4. les cellules

GRADIGNAN : 8 m2 bien éclairée par une fenêtre blindée ; un lavabo, un water, deux placards, un exemplaire du règlement, un interphone. Isolement intégral. Le besoin de contact tourne au délire. Je me cogne la tête contre les murs pour rompre la monotonie. On en arrive à ne plus souhaiter de contact pour ne rien rappeler de l’extérieur. L’interphone permet de contacter le gardien et d’écouter la radio à certaines heures. Le gardien peut écouter quand il veut l’activité du détenu.
LOOS : La centrale de Loos, c’est dégueulasse ; les murs sont crados, il n’y a pas de chasse d’eau ; on est encore à chier dans des tinettes que l’on va vider le matin après le café ; il règne dans les coursives une odeur de merde insoutenable.
POISSY : On couchait dans les cages à poule ; les murs suintaient l’humidité, pas de chauffage au dortoir et peu dans les ateliers. Les souris et les rats pullulaient.
DIJON : Les cellules sont conçues pour une personne, mais elles sont habitées par deux ou trois détenus.
LA SANTÉ : Exceptionnellement, à la 6e division, où sont logés les comptables, les conditions d’hygiène sont acceptables. Aux blocs A, B, C, D, E, les conditions d’hygiène n’existent pratiquement pas.
ÉPINAL : Inexistence d’eau et de lavabo dans toutes les cellules. Pour les besoins physiologiques, je dois avouer l’existence d’un pot de chambre (tinette) par cellule où on peut mettre du Purodor, mais rationné en dosages minimes, évidemment. On a accès aux douches une fois par semaine pour une durée qui ne dépasse pas les dix minutes, presque pas le temps de se laver les cheveux, quoi ! Les draps changés une fois par mois sont dans un état crasseux. Le chauffage existe plutôt théoriquement, ce qui nous oblige à tenir la fenêtre fermée tout le temps, ce qui, avec l’odeur du pot de chambre, la fumée des cigarettes, donne une atmosphère absolument irrespirable. La lumière est trop faible, ce qui fait qu’on ne peut pas lire longtemps, obligeant même à aller voir le toubib.
METZ : Système tinette-cuvette-broc.
TOUL : J’ai été mis dans une cellule non désinfectée et j’ai attrapé la gale.
RENNES (H) : Certains matons aiment nous regarder faire nos besoins.
DOUAI : Quant tu es sur la tinette et que tu tends une couverture pour te cacher des autres, le surveillant vous l’enlève, il vous engueule et vous envoie au mitard. Pour détérioration du matériel.
DOUAI : On avait une douche par semaine. Parfois, on nous oubliait. Nous avons réclamé plusieurs fois pour obtenir deux douches par semaine - comme les cochons dans les porcheries.
CAEN : A la Centrale au moment où on arrive, on est mis à l’isolement : 3, 6 ou 9 mois selon la peine qu’on doit purger. Dans la cellule, il y a seulement une petite fenêtre très haute. Pas d’eau courante, une cuvette. On est obligé de travailler à pailler des chaises. Comme la paille doit être humidifiée, on se sert de l’eau de la cuvette avec laquelle on doit se laver. Le soir, on pousse la paille sous le lit. Il suffit qu’on passe un jour sans travailler pour qu’elle se mette à pourrir. Quand on revient de la promenade et qu’on rentre dans sa cellule, on sent à l’odeur qu’on vit dans une étable.
TOULOUSE : Au quartier 4, les cellules ont W.-C. et poubelles. Mais dans le quartier 3 et certains , étages du quartier 2, il n’y avait que des tinettes nauséabondes et dégoûtantes.
FRESNES (Hôpital) : A la Roquette, il y avait un seau au milieu de la pièce, absolument sans eau. A l’hôpital de Fresnes où j’avais été transférée en 68, il y avait dans le coin un water et au-dessus un robinet avec un filet d’eau. Nous étions 4 par cellules. Nous avions beau être malades, nous étions obligées le matin de frotter le parquet : une vieille femme de 60 ans, avec une phlébite, comme les autres. Une douche tous les huit jours, mais tous les 15 quand il y avait trop de monde.

5. l’alimentation

ÉPINAL : A base de nouille et de patates. Le manque de viande, de fruits, de légumes frais est assez remarquable. Le café du matin fait avec de l’orge grillé provoque des nausées. Le dimanche il n’y a pas de lait, peut-être pour équilibrer le repas un peu plus substantiel de midi. Le pain, quand il est dur, est mouillé, ensuite séché au four et le voilà prêt pour plus d’une semaine de rodage.
FLEURY : La viande : 5 à 6 fois par semaine. Les fruits : non. Qualité : conserve.
FLEURY : Il faut cantiner le beurre, le sel. Cela coûte 150 à 200 F par mois.
RENNES (H) : Aussi bon qu’à l’armée. MONTBELIARD : 150 g de bœuf par semaine dont la moitié est du gras. Une fois du riz, des haricots, des lentilles par semaine. Les autres repas : patates. Le lait est dégueulasse. Un soir, les gars d’un atelier ont refusé la viande : il y avait une vingtaine de morceaux minuscules pour 9 ou 10.
DOUAI : Jamais de viande. Elle était revendue. On nous donnait des boulettes de pain trempées dans du jus de viande. Un fruit une fois par semaine. Les pommes de terre n’étaient jamais cuites. La nourriture était infecte.
POISSY : La nourriture est plus que moyenne et rare. Celui qui ne cantine pas, ne peut pas garder une santé qui lui permettra de travailler plus tard.

6. le travail

PROVINCE : Les éponges métalliques sont payées au détenu 31,72 F le mille. Un débutant en fait 200 par jour ; plus tard, on arrive à 500. Elles sont revendues en droguerie 50 centimes la pièce. Pour 100 douzaines d’épingles à linge montées et placées sur un carton, un détenu reçoit 1,25 F par carton. Un détenu entraîné, travaillant au moins huit heures par jour j arrive à faire deux cartons par jour - soit 200 douzaines, pour 2,50 F. Le concessionnaire les revend 150 F les 100 douzaines. Du salaire du détenu, l’administration retient la moitié pour les "frais d’hébergement", 1/4 pour le pécule réserve et les frais de justice ; 1/4 est versé au détenu.
LA SANTÉ : Je ne veux pas travailler en cellule, ça ne rapporte rien. Tous les travaux sont payés à la pièce ; il faut par exemple visser 1 000 boulons pour gagner un franc. Et après, il vous reste 30 centimes.
LA ROQUETTE : Travaux de pliage de carton le plus souvent. J’ai vu : les pochettes de Bas Dior, les boîtes d’Algocratine et une publicité pour Danone. Tarifs : 8 F pour 1 000 boîtes d’Algocratine. 100 à l’heure est une bonne moyenne. Et là dessus, on retient une partie pour divers frais (je n’ai jamais pu me faire expliquer pourquoi). On peut aussi être fille de service, c’est-à-dire que dès 7 heures du matin, on est en ménage ; la paye, une fois toutes les retenues faites, est de 50 F par mois. Au douches, travail moins pénible, c’est 34 F par mois.
EPINAL : Étiquettes pharmaceutiques. Étiquettes à coller ou à imprimer. Par exemple : "Au volant, la vue c’est la vie." Dans les cellules à 3 ou 5 maximum, chacun a son rôle : découper le papier, passer le tampon, ranger en j piles de 500, attacher.
RENNES (H) : J’ai travaillé comme auxiliaire (balayer les coursives, servir les soupes). Toute la journée, un casse-croûte à 9 h, 1/2 litre de cidre. Il est possible de faire un travail en cellule (faire , des filets). Travail en atelier (faire des chaises). 35 F cantinables sur un compte tous les mois.
LA SANTÉ : Les auxiliaires de cuisine travaillent 10h par jour, tous les jours, sans repos. LA ROQUETTE : Comptable : 0,50 F par jour. FLEURY : Classé dans les services de la cuisine. Je me lève à 5 h 30 du matin et je regagne ma cellule vers 6 h 30 du soir. A peu près 10 h. 70 centimes par jour payés tous les 2 mois.
AVIGNON : Nous assurions le blanchissage, le repassage du linge du personnel résidant, nous tricotions leurs chandails, même ceux qu’ils offrent en cadeaux ; nous recevions 3 F par mois, un paquet de Gauloises ou une tablette de chocolat. On ne se plaignait pas d’être occupées, mais c’était du travail non rémunéré,
CAEN : Au début du séjour on est mis à l’isolement (ça peut durer 9 mois). Pour faire ses preuves qu’on est travailleur, discipliné, récupérable, le seul travail c’est le paillage. Le contre-maître civil d’un concessionnaire de Caen j apprend le boulot aux arrivants. Moi, ma première chaise, il m’a fallu 8 jours ; le 1er mois, j’ai fait 3 chaises. Ils étaient montés contre moi ; quand on ne va pas assez vite, on est privé de cigarettes, puis il y a le mitard (avec sursis d’abord, puis sans sursis). On était payé 3 F la chaise. Si on en fait une par jour, après toutes les retenues, tu as gagné 12 F à la fin du mois. A partir de certains rendements, il existe des primes ; mais à la moindre bagarre à l’atelier, elle saute. Avec un an de bonne conduite, arrivé au quartier B, on touche 1/10 de supplément (1,20 F par mois). Mais le 1/10 de bonne conduite saute au . moindre incident. Si on > économise une botte de paille fine, on a un boni de 35 centimes la botte ; pour la plus grosse, c’est 5 centimes. Pendant tout mon séjour, mon record d’atelier a été de 40 F. Si on a été un bon travailleur, pour les chaises, on passe à l’atelier de montage ou de sculpture sur bois. Là on gagne d’abord 70-80 F, puis on arrive à 120-150 F. Il y avait un recordman de la sculpture des dossiers de chaise. Il arrivait à 500 F. C’était lui qu’on montrait aux visiteurs, on lui faisait dire son salaire, pour montrer ce qu’on peut gagner en prison. Le sabotage, c’était simple : glisser des arêtes de poisson dans la paille des chaises. Et comme à Caen, il y a beaucoup de chats et que les chats, ça griffe dur... Maintenant ça vient d’être augmenté : 4,30 F le plateau de chaise.
FLEURY : On fait des couvercles en plastique pour les poivrières Poivrosage. On est payé un centime pour 4. Ce qui fait 2,25 F pour les mille. On peut en faire en moyenne mille par jour. Après 30 ou 40 000 poivrières, on peut faire des pochettes de disque, c’est mieux payé.
CAEN : A la Centrale, il y a de grands ateliers et des machines très modernes. On les fait visiter aux gens de l’administration pénitentiaire, aux futurs magistrats. En fait, on ne fabrique que des chaises. Pendant 10 ou 15 ans, on fabrique des sièges, des pieds, des dossiers de chaises ; à la sortie, c’est tout ce qu’on sait faire. Tous les détenus travaillent pour le même concessionnaire. Il s’appelle M. Brée. Il a un bureau à la Centrale ; il est là du matin au soir, avec ses contre-maîtres. Ils passent dans les ateliers, ils surveillent ; quand ils voient qu’un ne fout rien ils appellent un surveillant : "Regardez X ou Y, ils ne sons pas à leur machine." Il arrive souvent que le gardien ne marche pas ; il dit que ce n’est pas son boulot, qu’il est là pour la discipline et pas pour surveiller la production et les bénéfices de M. Brée. Et M. Brée, il ne vend pas seulement ses chaises aux églises du coin ; il les vend dans toute la France et à l’étranger. Quand on à besoin d’un type à une machine, on ne regarde pas s’il est capable, on l’y met. Il y a quelques années, un type revient de Château-Thierry. Il y était allé parce que mentalement, ça n’allait pas fort. Il en revient comme un mort vivant : drogué jusqu’aux moelles de tranquillisants. On voyait bien qu’il ne contrôlait pas ses gestes, il marchait comme un automate. Le lendemain de son arrivée, on le met à une machine assez difficile. J’ai averti le contre-maître que ce n’était pas possible ; bien sûr, il ne m’a pas écouté. Ça n’a pas attendu une matinée ; toute sa main droite y est passée. Je le sais, c’est moi qui ai balayé les morceaux.
CAEN : J’ai eu un accident du travail, en plein hiver. Je sciais des pieds carrés pour des chaises. Vitesse terrible ; pas de chauffage, des courants d’air venant de partout. Je fonçais pour me réchauffer. Je me suis coupé un doigt, je n’ai rien senti. Un voisin m’a dit : "Regarde, ton doigt dans la sciure." Évanouissement. Ils m’ont mis dans une civière, hôpital civil, pas à Fresnes. Quand il s’agit d’accident du travail, ils sont obligés de nous conduire à l’hôpital civil. Je suis resté là 45 jours. Des gendarmes gardaient ma chambre. J’ai depuis une pension de 12% d’invalidité, soit 220 F par trimestre. Pendant 2 trimestres, ils m’ont prélevé la moitié de la pension. Ils n’avaient pas le droit d’y toucher, pas un centime. J’ai attaqué en prudhommes ; ils ont eu peur et m’ont remboursé immédiatement avait la procédure. Ils n’y ont plus touché après.
AVIGNON : Je voulais travailler, mais ils ne me voulaient pas.

7. la promenade, les loisirs

Pouvez-vous décrire la promenade ?

LA SANTÉ : 6 m x 3 m.
FRESNES : C’est une petite surface entre 4 murs et nous faisons le va et vient (3 m x 5 m). LA SANTÉ : 1/2 heure en 1968 ; maintenant, 3/4 h. 2 ou 3 cellules côte à côte. 15 personnes dans une cour de 7 m x 4 m. Première promenade à huit heures du matin, montée et descente comprise, ça faisait 20 minutes. Tu ne peux pas discuter trop longtemps avec tes camarades. Les matons sont sur des passerelles au-dessus des cours. Promenades uniquement le matin. Les auxiliaires et les politiques ont promenade l’après-midi.
RENNES (H) : Une heure normalement mais souvent ramenée à 1/2 h-3/4 h en groupe de 20 ou 30 en général, avec les mêmes détenus. On est obligé de marcher toujours dans une cour de 20 x 10 m. Avec certains matons, on peut discuter entre détenus.
DOUAI : 10 pas de long, 5 pas de large. Si pluie, mare d’eau couvrant 4/5 de la promenade. Si temps sec et vent, poussière noire venant des terrils voisins. Fouille systématique, Chant et éclats de rire interdits. Durée limitée à 40 minutes. Le dimanche à cause de la messe, on a 20 minutes. Les Musulmans de même. Le 15 août 1970 tombant un samedi, deux jours de suite, nous avons eu 20 minutes.
DIJON : Promenade obligatoire pendant une heure dans des cours trapézoïdes. Pas d’abri pour les jours de pluie, ; les détenus se tiennent collés au mur. Le sol demeure pendant 3 ou 4 jours comme une immense flaque d’eau. Les détenus ne sont dispensés de la promenade que sur prescription médicale,
FRESNES : 8 jours de mitard pour avoir refusé d’aller en promenade.

Comment vous occupez-vous en dehors du travail ?

FLEURY : Les cartes, lire, écrire. Sports ? Une heure par jour ou alors la promenade, mais pas les deux. Radio ? Oui. T. V. ? Non. Cinéma ? Oui, une fois le samedi. Journaux : Paris-Match, Jours de France, l’Equipe, le Pèlerin.
FRESNES : Radio ? Non. T. V. ? Non. Cinéma ? Si on travaille.
LA SANTÉ : Sport ? Non. Radio ? Non. T. V. ? Non. Cinéma ? Non. Journaux ? Match, Sélection, Jour de France, expurgés à l’occasion.
RENNES (H) : Les politiques, les témoins de Jéhova, les mineurs peuvent pratiquer le basket. On a la radio le samedi de 3 à 5 et le dimanche toute la journée après la messe (mais on coupe les informations). T. V. ? Jamais. Cinéma ? Jamais. Journaux ? Paris-Match, censuré, l’Equipe, Tintin, le Pèlerin, la Vie Catholique.
ÉPINAL : Inexistence de radio. Les seules revues autorisés sont Jour de France, le Pèlerin, Paris- Match, Historia, l’Equipe, etc/ Mais même celles-là sont censurées. Le manque d’information additionné au genre de travail qu’on nous donne (attacher des fils dans uné étiquette) converge vers l’abrutissement complet du prisonnier.
PROVINCE : T. V. ? Un poste dont seuls peuvent bénéficier ceux qui travaillent pour la majson (entretien des bâtiments, comptabilité, bureau du surveillant-chef) ; les balayeurs n’y ont pas droit. Il est ouvert le samedi après-midi et le dimanche après-midi. Cinéma ? Une fois par semaine, c’est payant : un franc. Quand on n’a pas d’argent, on ne peut pas y aller, à moins que l’assistante sociale ne nous donne un billet prélevé sur la caisse de secours, ce qui ne se produit pas chaque fois. Les billets sont achetés à la cantine sans connaître le titre du film. En général, on trouve que ça occupe un moment, que ça permet, de se voir, ce sont toujours de très vieux films. Radio ? Autrefois, if y avait la radio, avec des amplificateurs, mais le nouveau directeur l’a fait supprimer.
LYON (F) : Le dimanche, il n’y a pas d’atelier, On a le droit d’écouter la radio (un vieux poste dans le. réfectoire) mais il faut l’arrêter au moment des informations.
METZ : La seule "activité" ici, c’est de tourner en rond dans une cour, une heure par jour. Pas de sport, pas d’installation de radio ni de télé. Isolement + Oisiveté = Abrutissement.
DOUAI : Pas de sport, pas de radio, pas de T.V. Cinéma, jamais. Aucun loisir organisé : seulement messe et chorale. Acheter du papier et écrire : mais tout ce qu’on écrit est censurable et censuré. De même pour tout dessin. Peinture interdite. On lançait des tracts pour réclamer le droit à l’information.
PROVINCE : Pouvez-vous pratiquer un sport ? Si on travaille pour s’amasser un peu d’argent, on n’a pas le temps d’aller au sport. Pouvez-vous écouter la radio ? Non. La T. V. ? L’après-midi, le dimanche depuis que je travaille. Cinéma ? Une seule séance à Noël. Quels journaux avez-vous le droit de lire ? Les journaux sportifs. Seulement [2].

8. les soins médicaux

TOUL : A quelles conditions a-t-on droit à l’hôpital ? Quand on est presque mort. Avez-vous été malade sans aller à l’hôpital ni à l’infirmerie ? Oui. Quels médicaments vous a-t-on donnés ? Gardénal, phénergan. Avez-vous vu un psychiatre ? Non. Un psychologue ? Non. Vos dents sont-elles soignées ? Elles sont bien soignées quand on paye, en insistant beaucoup.
PROVINCE : A quelles conditions a-t-on droit à l’infirmerie ? Il faut être dans le coma. Avez-vous été malade sans aller à l’hôpital ou à i l’infirmerie ? Oui et les soins ont été refusés. Vos dents sont-elles soignées ? Si on demande à voir le dentiste, et c’est payant !
FRESNES : A quelles conditions a-t-on droit à l’infirmerie ? Pendant la nuit, rien, même si on est en train de mourir.
FLEURY : Comment se passe la visite médicale ? Interrogé par le docteur sans auscultation.
LA SANTÉ : Pouvez-vous dire comment se passe une visite médicale ? Beaucoup trop rapidement, ce qui fait qu’il n’est pas possible d’être bien examiné. A quelles conditions a-t-on droit à l’infirmerie ? Faut vraiment alerter tout le monde pour, être pris en considération. Quel médicament vous a-t-on donné ? Valium, Nosinan, Téralène.
AVIGNON : Comment se passe une visite médicale ? En présence d’un gardien (ce qui est révoltant). On est quelquefois 2 ou 3 à passer la visite médicale,en même temps. Donc on n’est jamais seul" avec le médecin. En cas de maladie pouvez-vous voir le médecin immédiatement ? La nuit, non ; il est difficile de se faire entendre par le gardien.
LA SANTÉ : Tu peux être malade à crever, le médecin ne vient pas. Tout passe par le directeur. Tu écris au directeur que tu veux voir le médecin. Le directeur juge le motif. Le docteur ne vient presque jamais en cellule. On doit aller à l’infirmerie. Aspro pour tout. A la prison, tu passes déjà au coiffeur, puis visite au psychiatre le soir même. A l’entrée tout le monde passe au psychiatre : à quel âge as-tu fait pipi dans ton pantalon ? As-tu couché avec ta mère, avec ta sœur ? Après le psychiatre, le docteur.
LA SANTÉ : Pouvez-vous dire comment se passe la visite médicale ? Ni mieux ni plus mal que dans un dispensaire de la S.S.
LA SANTÉ : Pouvez-vous dire comment se passe la visite médicale ? Comme ailleurs à la médecine du travail.
LA SANTÉ : Une visite médicale dure exactement 6 ou 7 heures, tout l’après-midi. Aussitôt après la soupe, on vous conduit dans une pièce de 3 m sur 5,30 m, avec des détenus d’autres divisions, puis on compte combien vous êtes et vous attendez. Au bout de quelques heures, on vous fait sortir par 2 ou 3 à la fois, on vous fait mettre à poil dans un couloir et vous attendez votre tour, mais rassurez-vous, le docteur ne passe jamais plus d’une minute par détenu quel que soit ce que vous ayez. C’est toujours le même traitement, Aspirine, Valium et Seresta, et puis dès qu’il y a une fouille de cellule, les gardiens emportent ces médicaments, parait-il qu’on n’a pas le droit d’en avoir.
LA ROQUETTE : Dans la première semaine, il y a une prise de sang, un dépistage du cancer gynécologique et une radioscopie des poumons faite avec un appareil si vétuste qu’il échappe sûrement à toute les règles de sécurité. On voit le docteur une fois par semaine. Mais il ne m’a pas été possible de voir une visite entre-temps, alors que j’avais un énorme furoncle qui s’infectait, puis une toux qui empêchait de dormir la fille de la cellule voisine. Le docteur rte nous examine pas. Au mieux, il pose des questions et prend la tension. En outre pour les médicaments, distribué le soir ou le matin, il y a souvent des erreurs.
AVIGNON : Pouvez-vous dire comment se passe la visite médicale ? Interdiction de s’approcher du docteur (2 m environ) ; c’est lui qui s’approche. A quelles conditions a-t-on droit à l’infirmerie ? Quand on est presque mort. Avez-vous été à l’infirmerie, à l’hôpital ? Je suis allé aux deux, j’ai voulu me pendre et m’ouvrir les veines. A quelles conditions a-t-on droit à l’hôpital ? J’y suis allé parce que j’avais avalé une cuillère. Avez-vous vu un psychiatre ? Oui. Un psychologue ? Oui. Vos dents sont-elles soignées ? En prévenu, oui ; en condamné, arrachées.
FLEURY : Le médecin ne vient pas immédiatement. pour aller à l’infirmerie, il faut être moitié mort. Pour tout mal, Aspro. Soins médicaux : un ami d’enfance détenu depuis, 18 mois souffrait d’une dent ; ils lui. ont extraite ; il souffrait toujours, ils le laissaient et ils disaient : "On t’a enlevé ta dent." "Mais j’ai mal." "Tu veux aller à l’infirmerie pour te reposer, c’est connu." Sa mère venant au parloir lui disait : "Demande à être soigné." Il ne voulait pas. La souffrance fut trop dure. Sa mère porta plainte. On le fit transférer à l’hôpital de Fresnes : son état étant jugé trop grave, il fut hospitalisé à la Salpétrière. Il avait été longtemps sans soin. Il avait un kyste cancéreux.
POISSY : Il y avait ces derniers mois un détenu qui avait une sclérose en plaques. Un moment est venu où il ne pouvait plus retenir ses urines et ses matières. Pour les surveillants, pour la direction, c’était de l’insubordination. On l’a puni. C’est au bout de plusieurs semaines qu’on a pensé que peut-être ce n’était pas seulement de la mauvaise volonté. On a fini par l’envoyer à l’hôpital de Fresnes.
FRESNES : Tous les 3 mois, il y a une collecte volontaire de sang pour les hôpitaux. En échange, on nous donne 3 cigarettes, 2 sandwiches, une limonade.
CAEN : On voulait tous aller à la collecte de sang. Pour le sandwich, pour les infirmières, pour la douceur.</p<

9. la surveillance, les brimades

FLEURY : Qu’avez-vous à dire de la discipline ? Trop dure. Des surveillants ? On est des chiens pour eux. Avez-vous été au prétoire ? Oui. Pour quel motif ? Révolte. A l’amende ? Oui. Au mitard ? Oui, deux mois sur quatorze.
FLEURY : Pouvez-vous décrire le système de surveillance ? A chaque instant, jour et nuit par un judas. Comment êtes-vous traités par les surveillants ? Comme des chiens. Quelles brimades tenez-vous à faire connaître ? Lorsqu’on écrit aux surveillants ou dirigeants, on n’obtient pas de réponse.
FLEURY : Qu’avez-vous à dire de la discipline ? Baf, idiotie. Des surveillants ? Majorité illettrés et incompréhensifs. Quelles brimades tenez-vous à dénoncer ? Injustice des surveillants.
TOUL : Pouvez-vous décrire le système de surveillance ? Chaque heure de la nuit, un surveillant regarde à l’œil de bœuf. Quelles brimades tenez-vous à faire connaître ? Il y a très peu de surveillants sympathiques, mais beaucoup de mauvais. Avez-vous été au prétoire ? Une fois pour une visite médicale non motivée : je perdais mes cheveux et j’avais mal aux gencives.
FRESNES : Pouvez-vous décrire le système de surveillance ? A chaque étage, un gardien de 10 minutes en 10 minutes. Ils surveillent la cellule. Tous les jours, ils vérifient les barreaux.
AVIGNON : Les surveillants ? Ça dépend des gardiens ; disons comme des chiens.
ÉPINAL : Le comportement des surveillants est très variable, dépendant en général de la quantité d’alcool bu pendant la journée. Le prisonnier ne doit pas s’allonger sur le lit pendant la journée. Le prisonnier peut parler seulement avec les compagnons de cellule, de façon toutefois que la conversation ne soit pas entendue de l’autre côté de la porte.
LA ROQUETTE : Les brimades ? Multiples et portant sur des détails insignifiants :

  • la façon de tendre son bol et son assiette n’est jamais la bonne ;
  • il faut s’habiller dans la cellule y compris son manteau, alors qu’on est re-déshabillé quelques secondes plus tard pour être fouillée ;
  • le changement de cellule sans raison est toujours pénible même pour celles qui sont seules (elles connaissent leur voisine et peuvent toujours communiquer) ;
  • les fouilles non seulement réglementaires avant et après la visite de l’avocat, avant et après le Palais, mais aussi à l’improviste et fouille de la cellule. Il faut vérifier qu’aucune détenue ne peut faire passer en douce au cours de la promenade soit de la nourriture soit un mot ;
  • toute forme de solidarité est interdite : j’ai dû jeter une grande part de mon colis de Noël qui risquait de pourrir plutôt que de le faire parvenir à une autre détenue même totalement inconnue ;
  • toute crise de nerfs est considérée comme une comédie et peut être sévèrement punie. Il est évident que "toute détenue est menteuse".

    LA ROQUETTE : Un des buts recherchés est de faire ramper chaque prisonnier. J’ai entendu certaines surveillantes prendre un plaisir sadique à humilier ; par exemple, en refusant de donner du travail à une détenue qui avait besoin d’argent pour l’obliger à supplier. Pour entretenir mon esprit de révolte et peut-être donner des idées à celles qui pouvaient entendre les cris des surveillantes, j’ai essayé de bannir de mon vocabulaire "merci" et "s’il vous plaît". Et ce moyen simple a mis quelques matonnes dans un état de rage qui me remontait le moral.
    LA ROQUETTE : Les brimades ? Elles sont si nombreuses. La détenue n’est pas traitée comme un être humain.
    LA SANTÉ : Comment êtes-vous surveillé ? Ils en sont au même point que nous. Il y a un surveillant-chef qui terrorisait les surveillants d’étage. Il se cachait derrière les escaliers pour les surprendre. Le matin, il hurlait, il abrutissait les détenus d’ordres aussi bêtes qu’inutiles : "Marchez le long des murs, boutonnez votre veste, l’un derrière l’autre, etc." Son principal plaisir était la chasse aux revues (autorisées) que les détenus ont l’habitude (occulte) de s’échanger pendant les promenades. Quand il en trouvait, il les déchirait. L’après-midi, il était plus calme ; il est vrai qu’il était ivre.
    LA SANTÉ : Comment êtes-vous surveillé ? Comment pourriez-vous faire comprendre à un surveillant qu’il a un homme en face de lui, quand lui-même est très mal traité par ses supérieurs. J’en ai vu complètement paniqués par la présence d’un brigadier particulièrement redoutable.
    GRADIGNAN : Comment êtes-vous surveillé ? Le maton, le brigadier, le gardien-chef, le directeur, le juge d’instruction.
    SAINT-MALO : Comment êtes-vous surveillé ? En prison, comme dans l’hôpital psychiatrique, il vaut mieux se taire.
    LA SANTÉ : Comment êtes-vous surveillé ? Par des malades mentaux.
    LA SANTÉ : Comment êtes-vous surveillé ? L’odieux œilleton. Il est des fois où ça n’a guère d’importance. Il en est d’autres par contre... Il m’est arrivé souvent, alors que je me lavais ou quand j’étais assis sur le cabinet, de voir l’œil me regarder.

    10. la fouille

    LA SANTÉ : Les matons font sortir dans les couloirs toute une cellule. On est aligné contre le mur, les bras derrière le dos dans un couloir de 60 cm de large. Ils foutent tout sens dessus dessous et ne rangent rien. Tout ce que tu as cantiné est renversé, sucre, confiture, etc. Cette fouille a lieu régulièrement 3 fois par semaine.
    LA SANTÉ : Se déshabiller intégralement devant deux hommes en uniforme : "Tournez-vous, baissez-vous, toussez."
    LA SANTÉ : Il existe une infinité de façons de faire la fouille. J’ai vu des fouilleurs se contenter de lire un magazine, quelques livres, fumer une cigarette. Il arrive aussi qu’ils soient pris de frénésie ; et quand vous retournez dans votre cellule, vous retrouvez tout entassé par terre, linge défait, livres étalés, cours éparpillés ; si vous protestez, le cachot est au bout, pour vous.
    PROVINCE : On vous met nus dans le couloir. Certains gardiens ne se gênent pas pour vous tripoter. La dernière fois, ils ont enlevé tous les mégots qu’on avait mis de côté. Une photo de ma fiancée. On s’est plaint. On nous a dit de le faire auprès du chef. Comme ça aurait été le mitard, on ne peut rien dire.

    11. le prétoire et le mitard

    LA ROQUETTE : En plus des brimades quotidiennes, il existe des punitions dues aux rapports. Motivés par "manque de respect à la surveillante" (l’arbitraire est bien sûr total puisqu’une détenue ne peut être que menteuse) ou par une infraction au règlement. On passe devant le prétoire composé du directeur et de différents chefs. Exemples de punition :

  • suppression des livres (4 par semaine) du cinéma (tous les 15 jours), de cigarettes ;
  • transfert à la 2e division où les détenues sont toujours seules sauf au moment de la promenade ;
  • suppression de nourriture sauf pain et soupe pendant quelques jours.

    LA SANTÉ : Le prétoire, c’est là que se décide le mitard. Le brigadier général, le directeur, le sous-directeur, 2 matons. Il y a deux matons qui restent à la porte. D’abord, en tête, les demandes d’emploi (tu écris au directeur, tu dis si tu veux être auxiliaire, rapport fait par le maton, tu es appelé au prétoire). Le directeur arrive au prétoire en courant : on n’a pas le droit de le regarder ; on a le nez contre le mur.
    TOULOUSE : J’aurais dû passer devant le prétoire et probablement aller au mitard si je n’étais sorti avant le jour fixé. Motif : avec d’autres camarades,avoir envoyé une lettre au directeur pour lui demander une amélioration des conditions d’hygiène dans la prison. J’avais été désigné parce que j’avais signé la lettre et ne pas l’avoir signée personnellement, les pétitions et autres actions collectives étant interdites.
    DIJON : Le tarif des peines est de : 4 jours : injures mineures à surveillant ; 8 à 10 jours : bagarres entre détenus, injures à surveillant, accumulation de médicaments : 1 mois et plus : évasion, tentative, agression de surveillant. FLEURY : Le mitard, ce n’est pas humain ; seul dans un trou, on ne voit pas le jour. Privé de courrier, de tabac, de visite. Pas le droit de s’asseoir ni de s’allonger de 7 h du matin à 9 h le soir.
    RENNES (H) : Enfermé toute la journée, double porte, doubles barreaux. Fenêtre grillagée. Un repas tous les deux jours. Sortie une 1/2 heure tous les deux jours. Matelas le soir, enlevé dès le lendemain matin. Cellules de 4 m sur 3 m. J’ai entendu parler de 3 suicides (pendaison, cisaillement des veines, avalement de cuiller).
    LA SANTÉ : Une pièce sans fenêtre avec lumière électrique jour et nuit. Depuis 1970, on a droit à 10 paquets de cigarettes au lieu de 3. Tu peux rester seul car tu es isolé de tout matériel : lit cadenassé, tabouret fixé au sol, pas de drap, une couverture très grosse. Aucune possibilité de suicide. Avant 68, on était sur le sol, on avait la visite des souris, on les aimait bien, on voyait quelqu’un. On donne des calmants pour y vivre.
    RENNES (F) : Une détenue est restée deux mois au cachot (dispute avec une autre détenue qui l’avait mouchardée) ; revêtue de la robe pénale, elle fut jetée dans un réduit minuscule, avec une paillasse crasseuse, une semi obscurité permanente, 1/4 h de promenade, impossibilité de lire, d’écrire, de recevoir des lettres, même de sa famille ou d’avoir une activité quelconque ; une petite cuvette d’eau par jour pour se laver, un seau hygiénique vidé une fois par 24 heures. C’était il y a quelques années : on lui donnait des repas normaux un jour sur deux (l’autre jour, pain et soupe équivalente à de l’eau). Il paraît que maintenant on donne à manger tous les jours. Le tout animé par les cris des voisins tabassés par les gardiens-hommes.
    DIJON : Une paillasse donnée seulement pour la nuit, posée sur une dalle de ciment. W.-C. mais pas de lavabo ; une cuvette pas de robinet d’eau. Le régime a été humanisé quelque peu. La privation d’aliments 3 jours par semaine ne dure que 8 jours au lieu de 15. Le détenu peut lire et écrire. Il a une heure de promenade l’après-midi.
    MONTBELIARD : Il y a une table fixée au mur et un siège en béton. Le lit est scellé au mur. On retire le matelas pendant la journée. On peut s’asseoir, mais il ne faut pas se faire prendre : on se lève dès qu’on croit qu’un maton arrive. Pendant les 15 premiers jours, on a une demi- ration, et de toutes façons jamais de viande. Au bout de 15 jours, on reçoit la même nourriture que les autres. Il n’y a pas de chauffage ; la nuit, on a 3 à 5 couvertures, mais pendant la journée, si c’est l’hiver,ce n’est pas supportable. On n’a pas d’eau. Si on veut se laver, il faut cogner contré la porte. On est plus souvent tabassé qu’ailleurs ; si le maton est de mauvaise humeur, il en appelle deux ou trois autres et tu as ta branlée.
    BESANÇON : J’y étais il y a quelques années. Il y avait 2 grosses portes. Et pas de lit, une planche inclinée : 40 cm du sol pour la tête, 20 cm au pied. J’avais 14 ans quand j’y étais. J’étais au quartier des mineurs. J’y étais d’abord un jour, puis deux, puis quatre, puis huit. Le plus terrible, c’est qu’on entend rien, absolument rien. Pas même le bruit de la rue. On est complètement désorienté. Très vite, on ne sait plus l’heure qu’il est, combien de nos jours ont passé. On n’a pas le droit de recevoir des visites. Moi, je n’ai pas eu à me plaindre ; ma mère était venue me voir en vélomoteur de X ; ils ont permis la visite bien que j’étais au mitard.
    TOULOUSE : Au mitard, on frappe volontiers ; on met une couverture sur les victimes attachées (afin que l’identité des matons ne soit pas reconnue). Il y a quelque temps, un corvetier a été attaché par les pieds aux tuyaux du chauffage central ; on lui a lié un bras devant, un bras derrière et 4 matons l’ont frappé. Le nouveau directeur est contre, ce qui l’oppose aux gardiens.
    FLEURY : On a beau être dans une prison-modèle , il y a des cellules de contention. Attaché sur le lit : une sangle à chaque cheville, une sangle à la taille. Une sangle à chaque poignet qu’on détache au moment des repas. Bien sûr, on vous donne des tranquillisants. Et c’est le médecin qui vient dire si on est assez "calme" pour être détaché. Mais si le docteur trouve que ça ne va toujours pas, ou bien s’il lui arrive de ne pas passer, on attend, plusieurs jours, ligoté.
    LA SANTÉ : Il est rare qu’ils vous laissent attachés, les bras dans le dos, pendant plus de 48 heures. Ils se méfient maintenant : quand on est resté plus de deux jours les bras attachés dans le dos, on est tellement ankylosé qu’on ne peut plus remettre les bras devant. L’infirmier et le médecin sont obligés de masser pendant longtemps.

    12. les suicides, les grèves, les révoltes

    CAEN : Le médecin pour les nerfs vient une fois par semaine ; ce médecin est très bien. Les autres jours, on dépend des matons. Il y avait un gars qui n’allait pas du tout à cause de sa femme. Ça faisait deux jours qu’il ne mangeait pas. Je lui disais : "Mange, il ne faut pas te laisser abattre." Je le sentais venir. Le soir, il dit au maton : "Ça va mal, donnez-moi des calmants, je craque." Le maton gueule ; à la fermeture, il le boucle à double tour. Le gars s’est pendu dans la nuit. Le maton n’était pas passé de la nuit. Il n’avait pas fait ses rondes ; il a dérouillé, car, naturellement, les matons se balancent entre eux.
    PROVINCE : J’ai un camarade qui est alcoolique ; c’est toujours quand il est en état d’ivresse qu’il commet ses délits. Il a demandé au juge d’application des peines l’autorisation de faire une cure de désintoxication. Le juge est d’accord. Il faut qu’il fasse plusieurs sorties en semi-liberté pour aller faire les épreuves de dégoût à l’hôpital psychiatrique. Au dernier moment, le juge refuse : c’était toujours le même juge. Alors il a commencé une grève de la faim. Je crois bien qu’elle dure encore.
    CAEN : Une visiteuse à la Centrale s’est fait virer en 1964. Elle avait cassé un ménage. La femme du détenu était aussi en taule. Ils ne pouvaient pas se voir, et cette visiteuse devait tout arranger. Elle a fait l’inverse ; elle a dit à la femme : "Laissez-le tomber". Les femmes et les ruptures sont souvent causes de suicides. Moi, j’ai tenté 3 fois de me suicider.
    FRESNES : Pendant que j’étais soigné à l’hôpital de Fresnes, on m’a dit que les chirurgiens voyaient toutes les semaines arriver des types qui avaient avalé n’importe quoi : des clous, des lames de rasoir, du verre, des boutons de métal. Un type est revenu sept fois. Il y en a un qui s’est enfoncé un clou de charpentier à travers le crâne. Le chirurgien collectionne ce qu’il trouve dans l’estomac et le ventre des gens. Ce qui l’a mis en conflit avec l’administration ! Il avait emporté un plein bocal d’objets trouvés dans des ventres ; il paraît qu’il voulait montrer tout ça dans une conférence. Le directeur a fait passer une note de service : tous les objets trouvés dans le ventre des détenus appartiennent à l’administration pénitentiaire.
    PROVINCE : Les révoltes individuelles ou à 2 ou 3 sont fréquentes. Au cours de ces dernières années, j’ai entendu parler d’un refus général de nourriture.
    FRESNES : Avant que j’entre, il y a eu une grève de la faim à cause de la bouffe. Il y a eu aussi une tentative de résistance de moi et d’autres condamnés au mitard. Mais on a été matraqués par les gardiens et enfermés de force dans le mitard.
    CAEN : Un jour à l’atelier, un maton qui me cherchait depuis huit ans s’approche de la perceuse où je travaille : "Tu fais trop de poussière" ; je ne dis rien, je continue ; il gueule : "Faut pas rouler avec moi". Ce trou du cul avec lunettes, je lui ai placé une droite, au sol je l’ai savaté : "Je sais combien je vais prendre, aussi tu vas en prendre pour 3 mois d’hôpital ; 90 jours pour 90 jours de mitard, qu’au moins ton compte soit réglé." Ils ont mis trois heures pour m’avoir et me foutre au mitard. Dans la cellule, j’avais tout cassé, tout entassé derrière la porte. J’avais une lame de 18 cm que j’avais aiguisée à l’atelier. Je m’étais fait une cuirasse autour de la taille protégeant le ventre et le sexe, avec des barreaux de chaise et du fiî de fer. Ils m’ont balancé trois bombes lacrymogènes. Ils n’avaient pas le droit, mais de mon temps ça s’est bien passé 5 ou 6 fois à Caen. Au mitard, 7 jours après comme j’étais attaché à un tuyau, à 7 ils me sont tombés dessus ; j’étais K.O. qu’ils tapaient toujours.
    TOUL : Les grèves de la faim, ça arrive très souvent. C’est anrivé entre 1969 et 1970 quand j’y étais. Beaucoup de détenus ne travaillaient pas et voulaient se faire transférer pour apprendre un métier et travailler. Ils furent reçus par le refus catégorique du directeur et se mirent à faire la grève de la faim. On les a mis au cachot jusqu’à ce qu’ils se soumettent. Un gars, qui a failli mourir après s’être ouvert les veines du bras, fut transporté à l’hôpital pour transfusion sanguine. Un autre gars après avoir fait une crise de nerfs fut attaché 10 jours à la camisole de force sans qu’on le détache pour se laver ou pour faire ses besoins qui s’entassaient autour de lai, respirant ses besoins qui s’entassaient autour de lui pendant 10 jours comme ceci.
    LOOS : L’hiver 1969, il y a eu une panne de chauffage et pendant un mois, on crevait sans, alors que dehors, il faisait -8°. On nous a donné une couverture supplémentaire. Et les matons nous interdisaient de nous coucher pendant la journée, ils vous foutaient des rapports ; moi j’en ai eu plusieurs et quand on me demandait pourquoi je me couche, je leur disais que c’était pour me réchauffer. Le directeur me disait : "Vous n’avez qu’à courir dans votre cellule", ou encore "vous n’aviez qu’à ne pas venir ici". J’ai aussi entamé une grève de la faim, toujours pour que nous ayons du chauffage ; on m’a mis 8 jours au mitard et on m’a matraqué. J’ai voulu écrire à Pleven, on m’a arraché les lettres, on m’a mis à l’isolement parce que j’avais incité les copains à faire comme moi. J’ai voulu lutter jusqu’au bout en écrivant à mon avocat. Le directeur m’a dit : "Vous n’avez plus le droit d’écrire à votre avocat, vous n’êtes plus prévenu". De colère, je lui ai mis mon poing sur la gueule, alors ça a été ma fête. Le lendemain, le directeur est venu me voir en me disant : "Ce que vous avez fait est très grave, vous risquez 6 mois de plus" ; il a essayé de m’avoir au chantage ; il m’a dit : "Si vous arrêtez d’écrire, faire la grève de la faim, d’inciter vos copains à la révolte, je ne porte pas plainte". De ce fait, je lui ai dit que je voudrais bien passer au tribunal ; au moins, ce sera pour moi l’occasion de dénoncer le régime qu’on nous fait vivre. Il est parti en me disant : "Vous resterez à l’isolement jusqu’à votre libération". Et j’y suis effectivement resté ; j’ai voulu me suicider en m’ouvrant les veines, mais tout s’est bien passé pour moi.
    CAEN : J’ai connu les révoltes avec les politiques O.A.S. en 1963 à Caen. Les politiques voulaient nous casser la gueule. On ne les aimait pas tellement. Des types de l’armée, des paras, de la coloniale. Ils ont brisé leurs portes, puis ils se sont heurtés aux matons. Nous, on est sorti aussi et on a cogné sur les matons. Au mitard, les matons ont cassé les deux bras de X.
    FLEURY : Il y a eu une révolte le 12 mai 1970. Ça a commencé avec la promenade des détenus du 3e étage de la tripale D 4, Il y avait avec eux des maoïstes de la G.P. Ils voulaient obtenir 2 heures de promenade au lieu d’une seule. Ils ont pris tout ce qu’il y avait là pour le sport : des haltères, des poids ; ils ont cassé les escaliers pour en faire des gourdins. Certains sont montés sur le toit pour haranguer les autres. Tous les détenus, aux autres étages, se sont mis à cogner contre les portes et à jeter par les fenêtres tout ce qu’ils pouvaient. Il y a eu des matelas en mousse qui ont été découpés, enflammés et jetés dans la cour. La direction a appelé les gardes mobiles qui y ont été aux lacrymogènes. Plus tard, pendant la grève de la faim des politiques, il y a eu une vingtaine de types qui se sont mis à faire la grève pour demander la suppression de la préventive pour les petites peines. Mais le chef de service est passé les voir un à un, alors ça n’a pas tenu.
    LA SANTÉ : On avait entendu dire qu’à Fresnes, il y avait une grève de la faim pour la réduction des longues peines. La grève de la faim est partie du bloc des musulmans, le vendredi soir ; ils protestaient contre les conditions de détention et ils étaient solidaires de Fresnes pour la réduction des grandes longues peines. En deux jours, ça s’est répandu dans toute la Santé, sauf au bloc C - celui des auxiliaires, qui ont toujours peur de se faire transférer. A la promenade, on a décidé de demander 2 douches et une savonnette par semaine. Le lundi, on s’est mis aux tracts, on a découpé le Figaro Littéraire et on a collé les lettres. Et puis on s’est mis à taper aux portes : il suffit de taper pas bien fort, mais tous ensemble et sans arrêt ; alors ça fait à l’extérieur un bruit infernal ; ça s’entend même de la rue, et surtout l’été quand toutes les fenêtres sont ouvertes ; les matons deviennent fous. Il suffit de s’arrêter de cogner quand ils approchent de la vellule pour ne pas se faire repérer, pendant que ça continue ailleurs et que ça repart dans la cellule où ils viennent de passer. Les musulmans ont brûlé leurs paillasses et les ont lancées par les fenêtres. Il n’était plus possible de brûler les portes depuis la grande révolte de 1967 ; elles ont toutes été remplacées par des portes en métal. Les planchers, il y a longtemps qu’ils y sont passés. Quand les musulmans ont commencé à enfoncer les portes, ils ont appelé les C.R.S. qui ont lancé 2 ou 3 grenades lacrymogènes dans chaque cellule. Il y a eu jusqu’à 250 personnes au mitard, surtout des musulmans ; certains ont eu le crâne fracassé et transportés à Fresnes. On a dispersé les autres en province. Pendant ce temps, les matons faisaient la grève du zèle. Depuis 1956, où ils avaient fait grève et où les types de la Santé s’étaient révoltés, ils n’ont plus le droit de grève. Alors en 1970, ils ont fait la grève du zèle ; au lieu d’appeler 40 personnes à la fois pour les avocats, ils les appelaient un à un ; les avocats et les visiteurs se plaignaient d’attendre. Les bricards étaient obligés de faire le boulot, et en plus ils ne voulaient pas nous dire que les matons faisaient grève, ils avaient peur de la collusion.