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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Silence aux patriotes ! (suite) – L. Laurent
Terre Libre N°8 - Décembre 1934
Article mis en ligne le 23 mars 2018
dernière modification le 20 février 2018

par ArchivesAutonomies

V

CHARLATANS ET IMBÉCILES.

Combien de sinistres farceurs déversèrent, avant la guerre leur bave patriotique et clamèrent à tous les échos leur soif de revanche, pour ne retrouver du courage que dans leurs jambes, et cela dans la direction opposée à la ligne de feu. Ils furent légion, les braves de l’acabit de ce de Waleffe, journaliste bien domestiqué, qui déclarait en 1914, après avoir joué son rôle de recruteur de chair à mitraille : "Je quitte mon journal pour chausser les lourds godillots qui me conduiront sur les routes de la victoire !" Ce personnage était sans doute moins fort en topographie qu’en patriotisme, autrement il n’eut point cherché la victoire dans la région de Chartres comme il le fit !

Fumiste du même genre, le "grand Barrès", le chauvin par excellence, l’homme qui organisait des mascarades émouvantes sur la place de la Concorde et qui faisait fonctionner régulièrement ses glandes lacrymales sur le malheureux sort de l’Alsace-Lorraine broyée sous la botte germanique. Ce fameux comédien devait s’exclamer à la déclaration de guerre qu’il attendait depuis si longtemps : "je cours m’engager". Il s’engagea, bien entendu, à rester au coin de son feu imitant la sage conduite de Poincaré, cet autre courageux Lorrain, qui se contenta de sacrifier la vie des autres et trouva le moyen de trépasser aux extrêmes limites de l’âge et du gâtisme.

Il faudrait des volumes pour citer tous les noms de ces détrousseurs, de ces êtres à l’âme fangeuse qui cachèrent sous les loques tricolores leurs instincts de bêtes de proie. Ils sont trop !... et ils sont aujourd’hui au premier plan, ils occupent les premières places dans la société. Ah ! le crime leur a profité, à eux ; avec quel cynisme éclaboussent-ils de leur mépris le meurtrier anonyme qui risqua bêtement sa peau pour édifier leur gloire — la seule vraie pour eux — celle de l’argent !

Quand je pense au drame que j’ai vécu, quand je songe à cette hideuse époque d’un cannibalisme déchaîné, je me demande, en vérité, si je rêve ! Ce drame effroyable a bouleversé ma vie, mes conceptions, mes idées. J’avais cru qu’il en aurait été de même pour l’immense majorité des hommes. J’avais cru que le monde épouvanté devait s’arrêter sur la pente fatale, tourner résolument le dos aux forces du passé, à la haine, à l’esclavage, et s’engager dans la véritable voie civilisatrice : celle de la science et de la fraternité. J’avais cru cela, oh ! l’espace d’un éclair, car je fus vite détrompé. Je comptais sur la colère de ceux qui avaient souffert — ils étaient des millions — pour balayer les institutions qui préparaient ainsi l’anéantissement des peuples. Hélas ! si la goutte d’eau parvient à creuser la pierre, la souffrance ne laisse pas de trace durable dans le cœur humain. Les hommes recommencent à prêter l’oreille aux chants de mort des fous et des cupides qui ont l’habitude de faire la guerre autour des cartes d’Etat-major ou en sablant le champagne.

L’imbécillité d’un peuple sert à provoquer l’imbécillité d’un autre peuple. Les nationalismes sont encore plus agressifs qu’avant 1914. Le mensonge est roi et le bourrage de crâne trouve le même crédit qu’autrefois. N’est-ce pas chose navrante que d’entendre chaque jour des miséreux, des "crève la faim", proférer des paroles de haine à l’adresse de l’"ennemi", de l’"étranger" qui se prépare à renouveler son agression contre "nous, contre le "pays". Aveugles, ils ne s’aperçoivent point qu’il ne leur reste rien à défendre. Le capitalisme leur a tout pris. Et demain, il prendra leur carcasse desséchée par les privations et il l’enverra pourrir sur les "champs d’honneur"... pour que la gloire. s’accumule à nouveau aux guichets des banques !