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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Les bolcheviks-léninistes entrent dans la S.F.I.O.
{Bilan} n°11 - Septembre 1934
Article mis en ligne le 17 décembre 2016
dernière modification le 12 décembre 2016

par ArchivesAutonomies

En l’espace de quelques mois, les bolcheviks-léninistes ont non seulement effectué un tournant vertigineux, mais, au travers d’une discussion rapide et confuse, ont liquidé leur section française qui rentre en bloc dans la S.F.I.O. Il y a quelques semaines à peine l’on parlait de rentrer dans le parti socialiste en tant que "fraction" et avec "son drapeau largement déployé". Aujourd’hui, c’est la capitulation en bloc devant le réformisme.
Mais dans différents pays la discussion autour de la rentrée dans la social-démocratie en France se poursuit encore. Quelle valeur peut avoir une telle "discussion internationale" si, avant qu’elle ne soit terminée, la chute des bolcheviks-léninistes dans le parti de M. L. Blum est quand même réalisée. D’ailleurs, nous n’attribuons pas la moindre importance aux oppositions manifestées au tournant proposé par Vidal et appliqué actuellement en France. Que cela soit en Belgique ou dans d’autres pays, les réfractaires ne repoussent pas, en principe, l’entrée dans la social-démocratie, mais invoquent l’opportunité, les circonstances actuelles, la "tactique", la "stratégie", le tout avec des mais... et des si... Nulle part l’opposition à Vidal n’est de principe et ne parvient à s’exprimer sans confusion. En Belgique, par exemple, la tribune de discussion de la "Voix Communiste" montre que les adversaires de la rentrée dans la S.F.I.O., s’ils ne repoussent pas cette position en principe, nagent dans un flot de contradictions. Les bolcheviks-léninistes de France négligeraient le principe de l’indépendance d’organisation, mais néanmoins la divergence ne serait que de tactique. Dans d’autres conditions, cette "tactique" serait admissible, mais en France elle ne pourrait qu’être néfaste.
L’internationalisme des bolcheviks-léninistes consiste à rechercher des principes nationaux différents pour chaque pays. En France, on invoque une situation spéciale pour balayer l’indépendance d’organisation ; en Belgique, momentanément, on la maintient. Nous rappelons que Trotski prétendait que notre fraction, parce qu’elle démontrait que s’il fallait s’inspirer essentiellement de principes internationaux, ceux-ci devaient se relier aux conditions spéciales de la lutte de classes dans les différents pays sans jamais être reniés, afin de donner au programme mondial du prolétariat une consistance organique véritable, avait une conception nationale de la lutte ouvrière. Cependant, contre Trotski et avec Marx et Lénine, nous avions raison lorsque nous disions : le contenu, la substance de la lutte prolétarienne est internationale, sa forme nationale : il faut créer des fractions de gauche basées sur les principes internationaux du communisme, mais reliées aux expériences des différents prolétariats, apportant cette expérience au prolétariat mondial.
Aujourd’hui, comme les "autonomistes" de la IIe Internationale, ceux qui s’intitulent "trotskistes" appliquent des principes nationaux opposés dans les pays capitalistes. Il paraît que l’on repoussa le "national-bolchevisme" ?
Les bolcheviks-léninistes prétendent que la seule voie pour battre le fascisme c’est d’entrer dans la S.F.I.O. Qui "veut lutter contre la guerre et le fascisme". L’on ne comprend pas très bien comment il se fait que lors de la capitulation de Rakovski réintégrant le centrisme pour défendre la Russie "menacée par l’impérialisme", Trotski ait écrit un long article pour démontrer que cette position était fausse et que si le centrisme défend la Russie, c’est bien à sa façon, c’est-à-dire en préparant sa chute. Rejoindre le centrisme c’était donc s’empêcher de défendre réellement l’U.R.S.S. Aujourd’hui, ce raisonnement pourrait bien s’appliquer aux bolcheviks-léninistes en France. S’il est vrai que la S.F.I.O. veut lutter contre le fascisme, à sa façon naturellement, c’est-à-dire en faisant le lit du fascisme si, éventuellement, cette perspective existait, rentrer en son sein signifie s’enlever toute possibilité de lutter contre lui. Mais il paraît que c’est très sérieux, le parti de Blum et de Frossard veut lutter contre le fascisme, ce qui ne serait pas le cas dans les autres pays capitalistes. Un grand article, qui se pique d’être théorique, a même paru dans la "Vérité", aujourd’hui organe bolchevik-léniniste de la S.F.I.O., pour démontrer que la social-démocratie devient un parti centriste. Avec des contorsions de gymnastique il n’est évidemment pas difficile de démontrer que la S.F.I.O. s’accroche avec la main droite à la "légalité à tout prix" pendant que ses autres membres sont poussés à gauche par les événements. Le tout est de voir s’il en résulte d’abord une lutte à mort entre fascisme et démocratie, comme le tout est de voir si le problème du fascisme est vraiment imminent en France.
Mais on ne réfléchit plus chez les bolcheviks-léninistes. Il faut de "l’audace encore" et "toujours de l’audace" pour faire un plongeon en bloc dans la S.F.I.O. Ce sont d’abord les jeunes léninistes (?) qui ont montré qu’ils étaient vraiment les "futurs cadres de la révolution" en donnant l’exemple et en frayant la voie. Par après, un bref communiqué dans le "Populaire" nous a appris que tout aussi modestement, la Ligue française disparaissait de la scène politique. Et voilà comment, en un ou deux mois de temps, deux événements historiques : la trahison de 1914 et la révolution russe, ont été escamotés d’un trait de plume. Rarement on vit capitulation plus écoeurante.
Nous devons avouer que, lorsque nous nous sommes prononcés contre la nouvelle orientation des partisans de Trotski, contre la fondation de la IVe Internationale avant que les conditions historiques n’aient mûri les possibilités de la réaliser, nous avions émis l’espoir qu’un revirement se serait peut-être effectué, du moins de la part de Trotski. Mais nous nous sommes trompés et très lourdement. Notre réaction est d’autant plus forte actuellement que nous voyons disparaître, dans les remous de la contre-révolution, celui qui fut, hélas ! un des grands chefs de la révolution russe. Déjà, en Italie, lorsque le centrisme manoeuvra pour nous déterminer à nous désolidariser de Trotski, bien qu’en désaccord sur une série de problèmes avec lui, nous avons catégoriquement refusé, estimant que sa lutte contre le centrisme avait une grande valeur et qu’il serait possible, au travers de discussions internationales, de lui donner sa véritable signification. Trotski nous a déçu rapidement. Actuellement, il sombre et on se demande s’il s’agit d’une chute totale, définitive de sa part, ou bien s’il s’agit seulement d’une éclipse que les événements de demain dissiperont. En tout cas, dans la situation présente, il faut mener une lutte impitoyable et sans merci contre lui et ses partisans qui ont passé le Rubicon et rejoint la social-démocratie. Notre fraction marque le fait, qui pénible qu’il puisse être et continue son travail : la lutte idéologique contre le centrisme, la social-démocratie et les débris bolcheviks-léninistes dont la position équivoque doit être dissipée soit par leur disparition, soit par leur entrée dans les rangs de l’internationale des traîtres et des renégats, afin de préparer les partis et l’Internationale de demain.


"Mais la création de Marx, oeuvre gigantesque par elle-même, déborde les exigence immédiates de la lutte de classes prolétarienne en vue de laquelle elle fut créée. Aussi bien dans l’analyse précise et concluante de l’économie capitaliste que dans la méthode d’investigation scientifique et de son immense domaine d’application, Marx a fourni un travail bien supérieur aux besoins immédiats de la pratique de la lutte des classes.
Mais dans la mesure où notre mouvement atteint un stade plus élevé et pose de nouveaux problèmes, nous avons recours à la pensée de Marx pour étudier et utiliser de nouvelles parties de son oeuvre. Mais notre mouvement conserve et conservera longtemps encore, comme toute lutte pratique, les directives qui lui ont servi dans le passé mais ne sont plus valables ; et c’est pourquoi les progrès théoriques dans le sens où Marx nous a stimulés n’avancent que très lentement.
La stagnation du développement de la théorie que nous constatons actuellement dans le mouvement n’est pas due au fait que la théorie marxiste dont nous nous nourrissons est incapable de se développer ou se serait "survécu", mais provient au contraire de ce que nous avons déjà utilisé, au cours des luttes passées, les armes idéologiques les plus importantes de la réserve marxiste, sans toutefois l’épuiser. Ce n’est pas que la lutte pratique nous ait fait "dépasser" Marx, mais, au contraire, que Marx nous a devancé dans la conception d’un parti luttant pratiquement. Ce n’est pas que Marx ne suffit plus à nos besoins, mais que les nécessités ne nous contraignent pas encore à utiliser totalement la pensée marxiste.
Ainsi les conditions de vie sociale du prolétariat dont la découverte théorique revient à Marx, se vengent dans la société actuelle sur le sort de la théorie marxiste elle-même. Instrument incomparable de la culture de l’esprit, elle reste en friche parce qu’elle est inutilisable pour la culture de la bourgeoisie et qu’en même temps elle dépasse de beaucoup les nécessités d’armement actuelles du prolétariat. En même temps que la classe ouvrière se libérera de ses conditions de vie actuelles, en même temps que seront remaniés les moyens de production, se réalisera la socialisation de la méthode d’investigation marxiste développée de manière à pouvoir être intégralement utilisée pour le bien de l’humanité."

Rosa LUXEMBURG, "Stagnation et progrès dans la Marxisme"