Bandeau
Fragments d’Histoire de la gauche radicale
Slogan du site
Descriptif du site
Résolution sur le Bordighisme
Communisme n°8 - Mars 1946
Article mis en ligne le 6 juin 2014
dernière modification le 15 mai 2018

par ArchivesAutonomies

RESOLUTION DE LA REGION SUD.

Avertissement.

Nos camarades de la Région Sud ont fait parvenir à l’O.C.R. plusieurs résolutions qui n’ont été transmises qu’avec plusieurs mois de retard à la rédaction actuelle de "Communisme". Les deux premières ont déjà paru dans le R.K.D. - Bulletin n°7 (1945) et 1 (1946). Le dernier texte que nous intitulons "Notes économiques sur la situation internationale", nous a été remis le 24 février 1946. Malgré sa forme abrégée, il rassemble un nombre important de matériaux généralement significatifs. Quel que soit l’isolement de la Région Sud dû à l’incapacité croissante de l’ex-O.C.R. de fonctionner comme centre idéologique et organisateur, le travail politique collectif continue. La nouvelle O.C.R., malgré sa faiblesse actuelle se donne pour tâche de le développer pleinement, sur le contenu des deux premières résolutions, qui, pour l’essentiel, expriment exactement notre pensée (déjà publiée ou non), nous donnerons ultérieurement notre avis plus détaillé.

La rédaction.

1.- Il est très difficile de se documenter sur le bordighisme. Ici nous nous appuierons sur la littérature de propagande ("Etincelle") de la Gauche Communiste Italienne, ces textes intérieurs ("Internationalisme") et sur les rapports des camarades qui ont été en liaison avec eux. La responsabilité de cette documentation insuffisante retombe surtout sur les bordighistes eux-mêmes, qui n’ont jamais pu ou voulu nous communiquer leurs textes programmatiques fondamentaux. Mais de leur côté, les R.K.D. et l’O.C.R. auraient dû depuis longtemps publier, d’après les documents qu’ils pouvaient avoir, un rapport sur le bordighisme.
2.- En effet, la Gauche Communiste Italienne est, en France du moins, de toutes les organisations à la gauche des trotskystes, la plus proche de nous. (Elle se réclame fondamentalement des 2 premiers Congrès de l’Internationale Communiste, dans la deuxième guerre impérialiste elle a préconisé le défaitisme révolutionnaire dans tous les pays, elle dénonce comme mystification bourgeoise le fascisme et l’anti-fascisme non-révolutionnaire). Elle a même influencé heureusement l’O.C.R. sur la question du Front Unique. La question qui aurait dû se poser depuis longtemps, et que l’existence d’un courant bordighisant dans l’O.C.R. pose aujourd’hui avec acuité, est donc la suivante : devons-nous envisager la fusion avec la G.C.I., après éclaircissement des divergences qui nous séparent encore ? Devons-nous au contraire considérer la G.C.I. comme une organisation centriste, une organisation adverse dont l’idéologie doit être dénoncée et démasquée parce que funeste à la Révolution prolétarienne ? C’est l’examen de nos divergences qui permettra de répondre à cette question. Les 3 divergences principales portent sur la question du parti, la Dictature du prolétariat, la question russe.
3.- Naturellement, quand nous parlons de G.C.I., nous visions la « Fraction italienne » et le groupe orthodoxe de la "fraction française". Ce courant représente l’idéologie traditionnelle des "vieux bordighistes" en face des "néo-bordighistes" dissidents de la fraction française. C’est d’ailleurs ce courant-là qui influence un certain nombre de nos camarades. Quant au courant néo-bordighiste, il semble en pleine évolution et nous manquons d’informations sur sa situation idéologique actuelle. Nous ne nous en occuperons pas ici.
4. - Sur la question du parti, l’idéologie bordighiste comporte des erreurs graves et typiques : opportunisme, sectarisme.
L’opportunisme des bordighistes s’est traduit jadis dans leur attitude à l’égard de l’"Internationale Communiste". Exactement comme les trotskystes, quoique exclus de l’"I.C.", ils ont pensé jusqu’en 1933 qu’elle pouvait être "régénérée" par une montée révolutionnaire en Europe (communication orale du camarade Ge.). Les C.R. et les R.K.D. dans leur critique du trotskysme, ont au contraire déclaré que, à partir de 1927 dernière limite, aucun doute n’était plus possible : toute démocratie avait disparu dans l’"I.C.", le personnel dirigeant du Komintern avait été complètement renouvelé, la "IIIème Internationale" était manifestement devenue un instrument de la contre-révolution russe. Les bordighistes n’ont jamais fait officiellement leur auto­critique sur ce point.
Mais, sur la question de la construction du parti et des tâches du parti et des tâches dans les diverses périodes, les bordighistes ont par la suite combiné les erreurs sectaires et spontanéistes. Selon eux, dans les périodes de recul, il ne peut exister ni parti révolutionnaire de masses, ni même autre chose qu’un noyau infime de révolutionnaires conscients : les illusions de la quasi-totalité du prolétariat sont telles qu’à leur avis toute tentative en vue de créer, en période de recul une organisation de cadres est une tentative opportuniste et "artificielle" (communication orale du camarade Ge.). C’est pourquoi le recrutement et l’agitation sont pratiquement proscrits dans ces périodes : seule est légitime une littérature de propagande destinée à "influencer graduellement" leurs liaisons. Par suite aussi, les principales précautions de sécurité sont superflues. Par contre, en période révolutionnaire, à la fois l’organisation de cadres et la base de masses se constitueront sans difficulté ("automatiquement" disait le cde Ge.) à travers le processus objectif de montée révolutionnaire.
Les C.R., au contraire, ont toujours affirmé, d’une part (contre les trotskystes) qu’un parti prolétarien ne peut se constituer comme organisation de masses qu’en période révolutionnaire, d’autre part qu’en dehors de ces périodes, la tâche fondamentale des révolutionnaires conscients c’est, à travers la propagande et l’agitation, de recruter et d’armer théoriquement et pratiquement l’organisation de cadres sans laquelle, même en pleine révolution, jamais ne se constituera un parti de masses vraiment révolutionnaire. Prétendre qu’en dehors des périodes de montée les illusions de la presque totalité des prolétaires sont trop profondes pour que cette organisation de cadres puisse se constituer, c’est nier l’existence d’une avant-garde. D’autre part, penser que l’organisation de cadres et le parti de masses se constitueront à peu près simultanément et sans difficulté, au cours de la montée et autour du petit noyau des révolutionnaires "conscients", c’est du spontanéisme.
5. - Concernant la Dictature du prolétariat, les bordighistes doutent qu’après une révolution victorieuse le prolétariat puisse s’ériger en classe effectivement dominante, administrativement et politiquement. C’est pourquoi ils ont tendance à concevoir la Dictature du prolétariat sous la forme de la dictature du parti. Administrativement, les bordighistes ont souvent déclaré (dans leurs textes intérieurs du moins) que l’apparition d’une bureaucratie dans l’Etat ouvrier est inévitable en tous les pays. La lutte contre cette bureaucratie doit, selon eux, s’effectuer à la fois par en bas et par en haut. Par en bas, tout comme dans les pays capitalistes, c’est la lutte revendicative du prolétariat dans ses syndicats. Par en haut, le Parti contrôle, surveille et éventuellement réprime les bureaucrates les plus réactionnaires. Au point de vue politique (communication orale du cde Ge) les bordighistes estiment que le prolétariat est subjectivement incapable de s’occuper sainement des affaires politiques : ces questions sont le monopole du Parti. Lorsque celui-ci s’aperçoit que sa ligne est désavouée par la majorité du prolétariat (dont l’opinion s’exprime toujours dans les syndicats), il abandonne le pouvoir.
Dans leur critique contre les trotskystes, les C.R. ont au contraire insisté sur le fait que la démocratie dans les Conseils, organes de gestion de l’économie et de représentation politique de la classe ouvrière, est la caractéristique essentielle de la dictature du prolétariat. L’influence du Parti Révolutionnaire sur la majorité du prolétariat est, après la prise du pouvoir, suffisante pour que le prolétariat prenne en mains les affaires politiques. Récemment encore, tous les militants C.R. ont rejeté une phrase du projet de déclaration de principes justifiant, dans certaines périodes, la dictature du parti. L’erreur des bordighistes rejoint celle des réformistes : Blum, par exemple, a toujours déclaré que la dictature du prolétariat était irréalisable dans la période historique actuelle, tant que le prolétariat n’aura pas une "expérience administrative" et une "maturité politique" suffisantes. Les réformistes en concluent que le prolétariat doit être "éduqué" pendant toute une période historique de réformisme. Tandis que les bordighistes en concluent que le parti "seule fraction consciente" du prolétariat doit se substituer à lui politiquement et que le prolétariat doit consentir pendant toute la période qui suit la prise du pouvoir à une bureaucratisation de l’Etat Ouvrier. C’est nier implicitement que le prolétariat puisse devenir classe dominante.
6. - Concernant la Russie, il n’y a pas de divergences positives entre les C.R. et les bordighistes. En effet, ceux-ci se contentent de caractériser la Russie comme « Etat contre-révolutionnaire » et ajoutent que les informations sur la Russie sont encore insuffisantes pour que l’on puisse se prononcer concernant sa structure économique et sa structure de classe.
Il est complètement faux de dire que les informations sur la Russie sont insuffisantes. Sans doute sont-elles moins abondantes que pour les autres grands pays capitalistes. Mais, pour toutes les phases de l’histoire russe depuis 1918, il y a des renseignements précis, soit d’origine russe, soit dus à des économistes, juristes ou voyageurs bourgeois de l’étranger, soit encore à des révolutionnaires antistaliniens. Evidemment, la plupart de ces documents sont à critiquer car ils émanent de contre-révolutionnaires ou de centristes. Mais, les 9/10 du temps, Marx et Lénine ont dû utiliser les renseignements de "théoriciens" ou de statiticiens bourgeois.
Ne pas prendre position sur la structure de classe et la structure économique de la Russie, tout en le déclarant "Etat contre-révolutionnaire", c’est profondément antimarxiste, antiscientifique. Cela implique qu’on ne prend pas position sur le capitalisme d’Etat. On peut matériellement et l’on doit, lorsqu’on se dit marxiste, prendre position concernant la structure de la Russie. L’attitude bordighiste atteste une carence scientifique et un désarroi politique décisifs.
7. - Les principaux "défauts" (si l’on peut dire) du bordighisme, c’est son histoire qui les met en pleine lumière. Voilà un courant qui se déclare, depuis plus de 20 ans, le seul représentant authentique du marxisme, et qui pendant tout ce temps a fait preuve d’une carence scientifique et organisationnelle à peu près totale, sans la moindre autocritique. Voilà pourquoi, en particulier, dans la Ière révolution européenne (Italie 1943), cette organisation, qui s’éduquait et se trempait soi-disant depuis 20 ans, a brillé par son absence.
8. - Nos divergences avec les bordighistes portent sur 3 points fondamentaux. La conception bordighiste du Parti est mortelle pour la révolution et l’a été effectivement pendant 20 ans. La conception bordighiste de la dictature du prolétariat est révisionniste au même titre que celle des réformistes. L’attitude des bordighistes à l’égard de la Russie reflète sur un point décisif leur carence scientifique, leur incertitude sur certains principes fondamentaux du marxisme, leur désarroi devant les perspectives d’évolution du capitalisme (capitalisme d’Etat). (voir note).
La Gauche Communiste italienne ne remet pas en question sa position concernant ces 3 points. Voilà pourquoi nous considérons l’ensemble du bordighisme comme un centrisme de gauche. La formation de l’Internationale C.R. devra, entre autres choses, être solidaire d’une critique radicale du bordighisme, sur le plan politique, et, sur le plan pratique, s’accompagner d’une rupture franche avec les traditions et les méthodes bordighistes.
Note. Parmi ces trois points, celui de la Dictature du prolétariat est à notre avis l’essentiel et conditionne les deux autres. C’est le point de départ de la prise de position des C.R. (en tout cas, du groupe de la région Sud).